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Une trentenaire a embarqué sa grand-mère centenaire pour un périple en camping-car dans le sud de l’Europe

Par Marie Quenet

C’est l’histoire d’une centenaire entraînée dans un road-trip de 15.000 kilomètres. Quand Fiona Lauriol apprend, fin août 2017, que sa grand-mère n’a plus qu’une semaine à vivre, elle décide de la retirer de la maison de repos où elle se trouve pour l’emmener avec elle. Et finit sur les routes en camping-car! Une aventure incroyable, qu’elle raconte dans un livre, 101 ans – Mémé part en vadrouille (éditions Blacklephant).

Au départ, Dominique Cavanna, l’aïeule d’origine italienne, n’est pourtant pas ravie de retrouver sa petite fille – « la pas belle », « la vieille fille », dit-elle. La cohabitation se révèle compliquée : la vieille dame, qui a déjà plus de 100 ans, refuse de prendre ses cachets, recrache sa nourriture, tape, chante à tue-tête en pleine nuit et exige qu’on lui obéisse « subito »! La frêle ancêtre a des airs de Tatie Danielle, le personnage atrabilaire du film de Chatiliez. « Non, elle était pire! », corrige le père de Fiona Lauriol et gendre de la centenaire.

Cinq voyages en deux ans et demi

Un an s’écoule, « Mémé » – atteinte d’un carcinome – ne se porte pas si mal. « C’est ça, la vieillesse : attendre la mort en fixant un mur blanc? », s’interroge, horrifiée, sa petite-fille. Habituée à voyager, celle qui avait 36 ans à l’époque lance cette idée folle : « Ça te dirait de partir sur les routes dans le vieux camping-car? » Deux équipes se forment : la centenaire et la trentenaire dans la « casa roulante » ; le père et la mère de la jeune femme dans un fourgon qui suit derrière, prêts à intervenir en cas de pépin.

Si les personnes âgées radotent, c’est qu’on ne leur donne plus l’occasion de vivre autre chose

En deux ans et demi, ils enchaînent cinq voyages, dans le sud de la France, en Andorre, en Espagne et au Portugal. « Ça m’a ouvert les yeux, explique Fiona Lauriol. Si les personnes âgées radotent, c’est qu’on ne leur donne plus l’occasion de vivre autre chose. » Quand cette auto­entrepreneure a présenté son livre, il y a quinze jours, à des élèves de BTS sanitaire et social à Montreuil (la ville de Seine-Saint-Denis où vécut sa grand-mère), elle a martelé le message : « Il ne faut pas laisser les anciens de côté. Je ne dis pas de les emmener tous en camping-car, mais partagez des moments avec eux, faites-les vivre! »

Au fil des kilomètres, « Mémé » reprend du poil de la bête. Elle chante avec des musiciens de rue à Almeria. Se croit téléportée dans une ancienne mine, grâce à un casque de réalité virtuelle, à San Juan de los Terreros. Contemple, dubitative, Le Caprice de Gaudí à Comillas : « Ma, c’est quoi cette construction? Céleste [feu son mari, un maçon], lui, il savait faire les maisons. » Et rembarre l’Espagnol qui les invite à découvrir son logis situé dans une grotte : « Ma, je ne suis pas encore morte pour qu’on m’enterre! »

Elle fête ses 103 ans dans le camping-car

Cette virée permet aussi à Fiona Lauriol de mieux connaître cette grand-mère « née en 1917, en pleine grippe espagnole », dans un village d’emilie-Romagne, arrivée en France à 34 ans. La vieille dame, traumatisée par les bombardements pendant la Seconde Guerre mondiale, panique quand une tempête de grêlons s’abat sur le camping-car. Le froid lui rappelle les années passées à travailler, dès l’âge de 2 ans, assure-t-elle, dans les rizières. Son enfance misérable la pousse à cacher des réserves de nourriture dans ses tee-shirts. Et elle a une sainte horreur de l’eau, sans doute liée à un incident survenu quand elle était femme de ménage.

Les nuits restent éprouvantes : la Signora chante, cauchemarde ou bavarde avec sa sœur défunte. Elle garde son caractère bien trempé. Se casse le nez dès le premier voyage : huit points de suture! Il faut se lever tôt pour faire quelques escapades avant son réveil, pousser son fauteuil roulant, la changer, la nourrir et tenir le budget, soit 1.000 euros mensuels financés par la location de deux appartements.

Petite-fille et grand-mère s’apprivoisent peu à peu. Cette dernière s’entête à vouloir caser la première, pas si laide finalement : « Ma, tu sais plein de choses, c’est pour ça que les hommes ne te veulent pas. » Ses yeux bleus pétillent. Elle réclame un bisou avant de dormir. Fête ses 103 ans dans le camping-car. Se prête, ravie, aux interviews télé quand la famille se retrouve confinée pendant deux mois, pour cause de Covid-19, à Bellus, en Espagne.

« Quand est-ce qu’on repart? »

Une de ses grandes joies? La route vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Très croyante, « Mémé » arbore avec fierté sa crédenciale – le « passeport » des croyants – autour du cou. Et pleure quand elle n’obtient pas le certificat de pèlerinage parce qu’il lui manque les deux derniers tampons. Pour la consoler, Fiona Lauriol évoque leur prochaine destination. Car sitôt rentrée à La Faute-sur-Mer (Vendée), le port d’attache de la famille, la baroudeuse du quatrième âge s’impatiente : « Quand est-ce qu’on repart? »

Las, l’expérience s’achève à l’aube du cinquième voyage. Le 29 juin 2020, la centenaire s’éteint, sourire aux lèvres. Sa petite-fille, fidèle à sa promesse, écrit leur histoire. Et termine, cette année, le périple avec ses parents. Direction : le village natal de l’aïeule, en septembre dernier. « J’ai discuté avec trois de ses anciennes copines », se réjouit Fiona Lauriol. Puis à présent, l’Espagne, jusqu’au détroit de Gibraltar. Et la Roumanie en juillet 2022. Distance moyenne : 20 kilomètres par jour. La jeune femme a retenu la leçon : « La richesse, c’est d’avoir du temps. »

Le journal du dimanche