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L’interview de Charlotte Saliou par Télérama

La Louisiane, le “Chelsea Hotel” de Saint-Germain-des-Prés, raconté par sa réceptionniste

Par Thierry Voisin

Publié le 14 mai 2023 à 15h00

Passer le seuil de La Louisiane, c’est comme entrer dans la légende. Celle d’un hôtel de Saint-Germain-des-Prés. Ouvert en 1823, il a accueilli depuis nombre d’artistes venus y trouver l’inspiration, de Jean-Paul Sartre à Juliette Gréco, en passant par Chet Baker, Jim Morrison, Quentin Tarantino… et Étienne Daho. À la réception, Charlotte Saliou est aujourd’hui la gardienne de cette famille de colocataires baroque. Témoin de rencontres tardives au cours de nuits souvent brèves et de fêtes improvisées, elle en raconte les coulisses dans un premier roman, Le Refuge des étoiles.

L’autrice
Assise dans sa grotte sous l’escalier, Charlotte Saliou est, depuis mai 2020, la réceptionniste de cet hôtel de charme. Née à La Réole (Gironde), elle monte à Paris pour finir ses études de lettres et de communication. Tombée amoureuse de Saint-Germain-des-Prés, elle entre à La Louisiane pour y demander un emploi. Elle cherche une place dans le monde, et c’est cet hôtel qui la lui offre, « un établissement sans fioritures, sans illusions de bonheur ». Elle apprend les codes élémentaires de l’accueil : sourire, discuter avec les voyageurs, leur parler du quartier, les renseigner sur les meilleurs restaurants. Pendant le confinement, elle écrit des textes sur des voyageurs fictifs. Le roman naît peu à peu.

Le livre
C’est « un livre qui attendait d’être écrit », déclare dans sa préface Frédéric Beigbeder. « Je l’envie beaucoup et lui en veux un peu », avoue l’écrivain qui a fait de La Louisiane son domicile parisien, depuis 2017. Entre roman et autofiction, l’ouvrage raconte les rêveries d’une réceptionniste, ancien rat d’hôtel en réinsertion. « Je m’appelle Charly. Je me promène assez souvent sur les toits de Paris pour prendre l’air ! » Dorénavant, elle écoute, observe et dérobe l’histoire des locataires. « Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite », prévient malicieusement en exergue Charlotte Saliou qui, au fil des pages, n’est pas avare de confidences et d’anecdotes. Prenant avec lyrisme et légèreté le ton de la farce, elle révèle l’ambiance de la rue de Seine, où les commerces de bouche ont disparu au profit de restaurants cossus, et qui est aujourd’hui sur le point de devenir piétonnière. « La Louisiane construit un pont entre les époques », poursuit Beigbeder. « Ses murs sont les plus bavards de Saint-Germain-des-Prés », même si la règle suprême demeure : « Ce qui se passe à La Louisiane reste à La Louisiane. 

L’hôtel
Chaque chapitre de l’ouvrage de Charlotte Saliou s’ouvre comme la porte d’une des chambres de l’hôtel qui fête aujourd’hui son bicentenaire. Ouvert en 1823 par un colonel des cuirassiers de l’Empereur, il sert de refuge à ses frères d’armes, survivants des champs de bataille du petit Corse. Depuis 1926, il est géré par la famille Blanchot. C’est une muse de pierre, devenue au fil des ans le Chelsea Hotel parisien, où les artistes viennent y trouver l’inspiration. Un asile où, entre réalité et légende, l’imaginaire des voyageurs y est plus débridé qu’ailleurs.

À la Libération, l’hôtel est le lieu de ralliement des jazzmen américains (Miles Davis, John Coltrane, Bud Powell, Charlie Parker…), qu’ils ne quittent que pour jouer dans les caves des alentours. Dans les années 1970, il devient le QG des Doors et de Pink Floyd. La Louisiane est aussi un havre de paix pour les intellectuels. « Ils étaient en sécurité et ils avaient chaud, en famille. » Au fil des ans, et encore aujourd’hui, nombre d’écrivains y séjournent, « baignant dans les mots et les excès ». La légende a retenu ceux de Sartre (viré en 1946 par la tôlière qui n’apprécie pas le défilé de ses conquêtes), mais aussi Albert Cossery (le plus long occupant), Ernest Hemingway, Henry Miller, Simone de Beauvoir, Douglas Kennedy…

Depuis les années 1950 s’y succèdent aussi de nombreux cinéastes : Louis Malle, Bertrand Tavernier (qui fit de l’hôtel le décor d’Autour de minuit), Barbet Schroeder (qui y tourne More), Quentin Tarantino (qui déambule dans les « couloirs psychédéliques », scénario à la main), Leos Carax, Jane Campion… Et de multiples artistes contemporains : Alberto Giacometti, Salvador Dalí, Bernard Buffet, Lucian Freud, Cy Twombly…

La chambre mythique
Située au premier étage, elle porte le numéro 10. En 1948, Juliette Gréco y vit son idylle avec Miles Davis. « C’est la chambre d’une Cendrillon devenue princesse de Saint-Germain-des-Prés, la seule qui ait alors une baignoire. »